Un mois après la création de ce blog en mars 2020, j’ai instauré un rituel spécial : celui de la page 31. Ce jeu du hasard permet à la fois de dévoiler la sélection du Jifa Bookclub et de rendre hommage à la Journée Internationale de la Femme Africaine, célébrée le 31 juillet.
Après avoir exploré l’incipit, plongeons maintenant dans la page 31 du roman d’Yvonne Adhiambo Owuor.
La maison au bout des voyages – Page 31
Un lézard léthargique à raies blanches fait une pause entre de minuscules fleurs jaunes…avant d’écraser les orteils d’Ajany aux ongles vernis de bleu, dépassant d’absurdes hauts talons brésiliens bleu foncé. Un hurlement : Où es-tu ? La peur résonne et martèle de ses sabots son âme qu’elle traverse au galop. La folie hennit. Ses doigts enfoncent dans ses paumes de longs ongles vernis qui se plient et se cassent. Ténèbres tâtonnantes derrière ses yeux. Elle rejette lentement l’air de ses poumons afin de ne pas bousculer l’immensité du silence, respire, mais il est trop tard. Voici l’heure où les fantômes oubliés reviennent revendiquer des commencements. Elle pourrait peindre ces incursions, mais à l’instant présent, elle est rongée par un épouvantable braillement de bébé qu’elle est bien la seule à pouvoir entendre. Ajany l’appelle, lui son inventeur d’histoires. Odidi. Il connaissait des hymnes à l’eau qui apportaient le réconfort. Il savait toujours quoi faire.
Sons extérieurs :
Crissement de pneus en étude musicale.
Gazouillis d’oiseaux.
Séquence d’ouverture de mitraillette.
Un cri.
Bribes de chanson s’échappant de la chambre de quelque citoyen invisible.
Injonction plaintive de Franklin Boukaka : Aye Africa…kokata koni pasi, soki na kati koteka pasi, et pendant une minute, elle submerge les cris désespérés crescendo d’Haki yetu, “Nos droits”.
Ca a commencé.
Le cœur d’Ajany se met à sangloter. A quelque distance sur la route, une fille prépubère en débardeur et baskets rouges, un anneau au nombril, file à vive allure, agrippant ses sacs en plastique blanc et bleu du supermarché Nakumatt. Une grosse main atterrit sur l’épaule d’Ajany. Elle sursaute.
Son père d’une voix rauque : ‘Wadhi’ Allons-y.
Nyipir et Ajany Oganda approchent du corbillard. Puis tous deux s’arrêtent devant la portière. Les veines palpitent sur le cou de Nyipir et des pépites de sueur couronnent sa tête.
Ajany a l’impression que son nom est devenu tactile ; elle se porte à la rencontre de cette sensation et aperçoit des vrilles de frère, ficelles lancées dans cette vie venues d’une autre dimension.
Avez-vous été intrigué.e.s comme nous avons pu l’être par cet extrait de La maison au bout des voyages ? J’espère vos réflexions et vos impressions dans les commentaires.
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